Récents :

Les grandes écoles en guise de légitimité politique : le cas Parizeau

Le 30 octobre 1995, les yeux du monde entier sont rivés sur la province du Québec. Après plusieurs tentatives, l’indépendance semble à portée de main. L’un des  principaux instigateurs de cet élan souverainiste, c’est Jacques Parizeau. Ancien élève de HEC Montréal, Parizeau s’est efforcé d’utiliser ses connaissances en économie pour convaincre la population de la nécessité d’un Québec souverain. Ainsi, à travers ce  portrait, nous retracerons le parcours de cet ancien premier ministre, immense figure politique d’Amérique du Nord et l’un des alumni de HEC Montréal les plus influents.

Un contexte de tournant décisif

Le 24 juillet 1967, lors de sa visite à Montréal, le Général de Gaulle  prononce depuis le balcon de l’hôtel de ville une phrase qui résonnera dans l’Histoire : “Vive le Québec libre !” Ce cri, loin d’être anodin, a jeté un pavé dans la mare des relations anglo-françaises, exacerbant les tensions existantes. Cette déclaration audacieuse s’est produite en plein cœur de la révolution tranquille, bouleversement majeur au Québec qui s’étend de 1960 à 1969. 

Cette période est caractérisée par d’importantes réformes économiques, sociales et culturelles initiées par le premier ministre libéral Jean Lesage, qui a rompu avec les politiques conservatrices de Maurice Duplessis, dominées par l’Église catholique et les intérêts privés. C’est dans ce contexte de modernisation que Jacques Parizeau, au CV tamponné des meilleures institutions académiques, fait son entrée en politique, marquant ainsi le début de son engagement pour l’indépendance du Québec.

Origines académiques et familiales

Né le 9 Août 1930 à Montréal, Jacques Parizeau est le descendant d’une grande famille de notaire très influente dans le pays. Parizeau est élevé dans un milieu intellectuel, son père l’initie à la littérature, à l’économie et au nationalisme dès son plus jeune âge. C’est donc en toute logique qu’il rentre à 17 ans dans l’école des Hautes Études Commerciales de Montréal pour démarrer sa licence. Dès son arrivée dans l’école, Parizeau se fait remarquer par  son originalité. Alors que la plupart des élèves de HEC s’intéressent à la comptabilité, lui est pris de passion pour l’économie politique. Classé parmi les meilleurs étudiants de l’école, son talent et sa détermination iront jusqu’à surprendre le directeur de l’époque, Esdras Minville. 

Dans un contexte de crise économique rencontrée par le Québec dans les années 50, un professeur de HEC Montréal, François-Albert Angers, cherche à former un contingent de jeunes économistes canadiens-français pouvant éclairer la société. De ce fait, celui-ci propose à Jacques Parizeau de poursuivre ses études en France. Misant sur son protégé, il propose de lui verser un salaire de professeur (payé par HEC) pour toute la durée de ses études, à condition que celui-ci revienne enseigner à HEC.

Ce marché conclu, Parizeau se verra diplômé de l’IEP de Paris (nouvellement Sciences Po Paris) et de la faculté de droit de Paris (nouvellement scindé en les universités Panthéon-Sorbonne et Panthéon-Assas). En 1955, âgé de seulement 24 ans, l’étudiant modèle se verra obtenir un doctorat en économie à la London School of Economics (LSE), devenant le premier québécois doctorant de cette prestigieuse institution.

Le tremplin des études pour atteindre la politique

Après ses études, Parizeau est recruté en 1960 par Lesage en personne, premier ministre du Québec. En raison de son bagage académique, il est intégré au conseil d’orientation économique du gouvernement et pour la première fois, il découvre les coulisses du pouvoir. Pourtant, c’est véritablement en 1969 que Parizeau se lance en politique. Il rejoint le parti Québécois fondé par le journaliste nationaliste René Levesque et se lance dans la lutte politique pour l’indépendance. Durant la décennie suivante, Parizeau devient un visage familier dans les médias, où il utilise son expertise acquise lors de ses études pour argumenter avec vigueur en faveur de la faisabilité de l’indépendance québécoise, combinant aisément éloquence et profondeur théorique. Puis, il devient, en 1976, ministre des finances sous le gouvernement de René Lévesque. 

Pourtant, en 1984, tout s’achève. Le parti, affaibli par la défaite référendaire de  1980, est définitivement vaincu par la victoire du parti progressiste conservateur.  Parizeau décide alors de retourner à l’enseignement au sein de HEC Montréal, ulcéré par cette défaite.

L’heure de l’indépendance

La mort de René Lévesque en 1987 marque un tournant qui ramène Jacques Parizeau en politique. Celui-ci prend les rênes du Parti Québécois en 1988 et sa popularité s’accroît jusqu’à son élection en tant que premier ministre du Québec le 12 septembre 1994. Dès son accession au pouvoir, Parizeau annonce un référendum sur l’indépendance prévu pour l’automne 1995, marquant le début d’une campagne électorale intense.

Cette période voit s’affronter deux figures marquantes du Canada : le premier ministre canadien Jean Chrétien, qui admire le libéralisme de son prédécesseur Pierre Eliott Trudeau et s’oppose à l’indépendance et Lucien Bouchard, député souverainiste et proche de Parizeau. Le 30 octobre 1995, le référendum se déroule avec une participation exceptionnelle de 94%. Les premiers résultats favorisent le Oui avec 58.9% des votes, mais les résultats ultérieurs de la ville de Québec renversent la tendance, conduisant à une victoire serrée du Non à 49,42%. Suite à cette défaite, Parizeau annonce son retrait de la vie politique en 1996. Jacques Parizeau, décédé le 1er juin 2015, reste une figure emblématique du combat pour la reconnaissance du Québec comme une société distincte au sein du Canada.

Une carrière impactante

Jacques Parizeau se distingue comme l’une des figures les plus sous-estimées, mais aussi les plus respectées du paysage politique. Parizeau n’a jamais lancé sa carrière par soif de pouvoir. Il a avoué ne pas avoir de penchant naturel pour la politique, bien qu’il y ait été amené par un parcours académique impressionnant. En effet, sa formation dans de grandes écoles a non seulement accru sa légitimité auprès du public et dans les médias, mais a aussi solidifié son image d’expert et de leader crédible. Sa principale motivation était la quête de l’indépendance du Québec, ce qui le rendit une figure particulièrement originale dans le monde politique. Celui-ci fut vu comme un homme motivé par des convictions profondes plutôt que par des ambitions personnelles.